lundi 27 avril 2015

In memoriam




Parce qu'ils sont arméniens : Pinar Selek.

Il y a cent ans , c'était le génocide arménien. Pendant longtemps , ce génocide a été étouffé en Turquie. Mais depuis peu , les choses ont bougé et des voix dissidentes ont réussi à se faire entendre contre le négationnisme d'Etat. J'ai décidé de lire le livre de Pinar Selek sur ce sujet. Pinar Selek est une sociologue turque antimilitariste et féministe. En 1998 , elle est accusée à tort de terrorisme , emprisonnée et torturée . Après un imbroglio judiciaire , elle rejoint la France en 2011 pour échapper à un nouvel emprisonnement et poursuit ses recherches à Lyon.

Dans ce livre , Pinar Selek part d'un principe :  pour témoigner de l'injustice , il faut aussi lutter contre elle en soi. En 2003, le ministère de l'éducation nationale turc a tenté d'imposer dans les écoles primaires aux élèves l'écriture de « témoignages » visant à montrer que la Turquie n'avait jamais exterminé ses minorités. Elle a répondu par une fausse rédaction dans son livre et en profite pour poser une question à la fin Que sont devenus les arméniens ? . Pinar Selek a été élevée dans une famille de gauche contestataire et antimilitariste. Sa famille n'était pas nationaliste et ne niait pas le génocide arménien (sa mère lui a dit quand elle était petite que les arméniens étaient en anatolie bien avant les Turcs). Elle s'est très tôt révoltée contre la dictature militaire nationaliste au pouvoir en Turquie.(en 1980 son père est emprisonné lors du coup d'état militaire) et que la propagande ultranationaliste battait son plein contre les « terroristes, communistes, arméniens ». Elle se rappelle des arméniennes dans sa classe (elle était allée dans un établissement tenu par des religieuses car elle voulait voir à quoi cela ressemblait après avoir lu la religieuse de Diderot ! ). Celles-ci étaient toujours très discrètes et silencieuses (parce que juste tolérées et elle a remplacé le stéréotype de l'arménien terroriste par celui de l'arménien froussard. Elle dit à ce sujet dans un article «  Dans mon livre, c’est aussi la construction de ce regard que j’ai voulu questionner. Moi, je regardais, mais je ne voyais pas. Où était le problème ? Quand j’étais adolescente, je savais que le discours officiel sur les Arméniens était un mensonge. Mon père, militant communiste, était en prison. Dans les discours officiels, les communistes et les ­Arméniens étaient associés dans un même rejet. Je me sentais proche des Arméniens, mais moi, je me trouvais plus courageuse qu’eux. À l’école, je discutais, je contestais. Les Arméniens restaient en retrait. En réalité, je ne comprenais pas ce que voulait dire être arménien en Turquie. Je ne savais pas que mon courage venait de ce que j’appartenais à une identité dominante. J’étais peut-être la fille d’un militant politique emprisonné, mais j’étais turque. »et dans son livre « Et si à travers les mille variantes des slogans ; on te rappelle chaque jour que tu es le maître des lieux , une cuirasse d'assurance enveloppe ton âme. L'armure du maître de maison. Je ne peux pas mentir, j'ai porté cette armure »

On peut voir comment l'usage de termes comme Madame pour les femmes arméniennes contribuaient à les inférioriser , ce terme étant employé pour les étrangères. ( le racisme anti-arménien se nichant aussi dans ces petits détails désignant les arméniens comme des corps étrangers à la Turquie).
Sa découverte du génocide arménien , Pinar Selek l'a faite lentement . En parlant avec une voisine arménienne qui se définissait par le terme utilisé pour les survivants «rebuts de l'épée ». En découvrant comment l'élimination des arméniens avait continué (impôts spécifiques ,pogroms de 1955). Le silence des poètes et des écrivains contestataires sur ce sujet. Elle s'est mise à examiner dans Istanbul , les traces restant des arméniens. Et puis , il y a eu son emprisonnement. Lors de cet emprisonnement très dur, elle tenaient face aux tortures grâce aux poèmes et à la fraternité humaine.Et grâce aux lettres. Elle se rappelle notamment des lettres d'un vieux sacristain nommé Nisan Amça qui lui parlait de Jésus. « sa lumière était celle de Jésus en qui il croyait de ton son cœur. Un feu où la souffrance se mue en résistance . Et ce vieil ami voulait réchauffer de ce feu une femme emprisonnée qu'il ne connaissait pas. » . Après être sortie de prison , elle l'a revu . Ils se sont beaucoup parlés . Et puis il lui a dit que mieux valait qu'on ne les voie plus trop ensemble car « Je suis arménien, alors... » « Et si on racontait que je suis la force cachée derrière toi ? Que je te manipule ? ».

Elle parle de comment la gauche turque alternative (auquelle elle appartient) a pendant longtemps nié le problème arménien au nom d'un universalisme abstrait refusant de voir les oppressions concrètes. « aucune de ces organisations de gauche auxquelles ils avaient peur de nuire ne réclamait « justice pour les arméniens »p57. Elle raconte comment le journal bilingue écrit en arménien et en turc Agos de Hrant Dink , un ami, et d'un petit groupe de militants a reparlé des arméniens en connectant leurs luttes à celles des antimilitaristes , des anticapitalistes, des antinationalistes et des pacifistes et a reparlé de la question arménienne dans l'espace militant. En posant notamment la question des arméniens islamisés http://www.lemonde.fr/europe/article/2015/04/25/a-diyarbakir-le-reveil-de-la-communaute-armenienne_4622774_3214.html. Hrant Dink a été tué en 2007 et sa mort a entraîné une manifestation de 300 000 personnes. Pinar Selek a dû fuir mais a gardé son souvenir et celui de l'ami qu'elle a eu grâce à lui Karin Karakasli. En Turquie , le tabou du génocide arménien reste fort mais il tombe petit à petit (une rédaction comme en 2003 ne serait plus possible maintenant). La lutte arménienne s'est connectée à d'autres luttes dans une dynamique intersectionnelle ( féministes , LGBT , étudiants , kurdes ) ce qui a entraîné la naissance du parti HDP qui demande entre autres la reconnaissance du génocide arménien et pourrait rentrer au Parlement le 7 juin .

Pour finir laissons la parole à Pinar Selek qui évoque ce qu'elle ferait de différent si elle revivait ces années de lycée : « Je lèverais probablement encore la main. Je ferais du stop et collerais des poèmes sur les murs de l'école. Mais consciente que tout le monde ne peut pas faire de même Peut être n’aurais-je pas eu la même suffisance insolente. » et sur l'avenir de la Turquie « J'ignore comment cela évoluera mais je sais qu'il existe une Turquie immuable et une que nous transformons et qui nous transforme. La première est celle qui m'a chassée. La seconde est celle qui m'attend à l'embarcadère... »


http://www.pinarselek.fr/?page=article&&id=450&PHPSESSID=0dbf54f5e9164c99c02ba2a56815b16b


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