Le cri de l’oiseau de pluie.
Le début des années 1980 au Pakistan. Le dictateur Mohammed
Zia régente le pays d’une main de fer et encourage l’islamisme (avec le soutien
des pétrodollars saoudiens et la complicité des USA et de l‘UE qui voient en
lui un héros luttant contre le communisme). C’est l’histoire d’une petite
bourgade probablement au Punjab (il y a encore des hindous au Sindh et ce n’est
ni en pays pachtoune ni au Baloutchistan). La mousson arrive et la tension
monte au village où les habitants sont divisés entre deux mosquées. L’un des
deux imams Maulana Dawood, nous ne le verrons jamais. Il est le plus rigoriste
apparemment et agit comme un croque-mitaine pour l’autre imam Maulana Haffez
auquel il prend des fidèles.
La tension monte et le juge Anwar est assassiné en pleine
nuit. Ce juge était un fervent complice du pouvoir et son assassinat plonge les
notables dans la peur, notamment le tout puissant propriétaire terrien Mujeeb
Ali. Ceux –ci veulent accentuer l’enquête et proposent même de barricader la
ville. La découverte d’un sac postal égaré il y a 19 ans achève de mettre les
tensions à vif. Il y a 19 ans, un candidat de ce qui est actuellement
l’opposition s’était fait tirer dessus dans des circonstances jamais élucidées.
Le scénario pourrait être en place pour un roman de vengeance et de révolte
sociale. Zorro, Jean Valjean, Memed le mince ou tant d’autres pourraient être le modèle du héros qui aiderait les habitants défavorisés à s’unir contre les notables corrompus. Hasta la
siempre heval et viva la révolucion .
Mais ce roman n’est pas un tel roman. Certains personnages
(l’ex candidat de l’opposition, un journaliste ou le facteur) pourraient en
rêver Mais ils représentaient une tendance au sein de l’opposition, celle du
communisme, qui est très affaiblie. L’ex candidat Yusuf Rao se contente
d’observer désespéré l’évolution de la situation. Le facteur est dans une
logique de vengeance personnelle et désespérément cynique. Le journaliste
continue la lutte mais comme chante Léo Ferré pour que dalle et pour
quoi ?
René Girard parlait du bouc émissaire. Pour le village ça va
être un couple. Ils sont jeunes et s’aiment. Il s’appelle Azhar et elle
Elizabeth. C’aurait pu être une histoire ou dans le Punjab il y a 100 ans,
celle d’une princesse amoureuse d’un berger. Sauf que les princesses et les
bergers vont rarement ensemble. Plus les princes et les bergères et c’est le
cas dans le cadre spatio-temporel du Punjab en 1980, ces prénoms traduisent
l’histoire plus classique d’un prince amoureux d’une bergère (qui oh surprise se finit souvent mal pour la bergère) . Elle est
chrétienne, donc intouchable (au sens indien du terme, les chrétiens du Punjab
étant à la base des intouchables hindous convertis). Son père est éboueur, Azhar est
commissaire de police. Leur amour est vu comme un objet de scandale car ils ne
sont pas de la même religion. Elle devrait donc se convertir ce qu’elle ne veut
pas faire pour « permettre à d’autres de dormir tranquille ». Peu est
dit sur leur relation où il y a beaucoup de non-dits. Il cristallise sur lui
les déceptions des autres notables inquiets de ce qu’ils voient comme la menace
d’assassinat qui pèse sur eux et dont il ne les protège pas et la rancœur des
plus pauvres contre ceux qui dirigent. Mais ce n’est pas sur lui que cela va
tomber mais sur elle (oh surprise). Seul
un musulman , ahmadi instituteur, va voir l’engrenage se mettre en place
(peut-être car il a été lui-même persécuté) et tenter de le stopper ,héroïquement , inutilement.
Et puis ça parle aussi des stigmates de la Partition qui a
déchiré le Punjab en deux (les musulmans ayant été en grande partie été
éliminés ou chassés du Punjab à majorité sikhe ou hindoue qui est revenu à
l’Inde et les sikhs et les hindous ayant été éliminés ou chassés du Punjab à
majorité musulmane qui est revenu au Pakistan). Elle est évoquée via des
souvenirs marqués par cela et via un terrain vague qui était l’ancien temple
hindou de la bourgade. Et ce roman est aussi un boucher qui parle avec un coiffeur
d’une série télévisée anglaise ou encore une femme qui cherche à divorcer de
son mari et est revenu du Canada pour ce faire. Et enfin, nous avons des
enfants qui parlent de comment ils regardent le monde qui les entoure sans être
situé, qui regardent la pièce de théâtre auxquels ils vont prendre part.
Enfin, cela parle d’un personnage que j’ai déjà évoqué. Je
pourrais avoir tout pour le détester. Il est rigoriste, ultra-conservateur (au
sens traditionaliste, pas au sens fondamentaliste). Il condamne véhémentement
ceux qui ont un téléviseur et a fait pression contre un cinéma. Il est contre
la liberté religieuse. Et pourtant aussi paradoxalement que ça puisse le
paraître, j’ai aimé cet homme. Car c’est un homme bon . C’est un homme qui essaie toujours de faire ce qui est le plus
humain dans de nombreux cas, un homme avec une empathie énorme. Oh et
devrais-je vous le dire ? Il va être l’un des principaux responsables du
drame qui va se jouer. Et je pense sincèrement qu’il ne le voulait pas mais
qu’il n’a pas pu faire autrement. Une erreur d’une partie de la littérature ou
de certains courants politique (dont je me sens proche) et que considérer que
quand les gens ont une vision du monde avec laquelle ils sont en profond
désaccord (et « haineuse »), ils sont haineux eux-mêmes. Je sais
d’expérience personnelle que ce n’est pas vrai. Et de plus d’un point de vue
purement littéraire, ce n’est pas intéressant. Bref, j’ai paradoxalement adoré
ce personnage. Qui est-ce ? Je vous laisse le découvrir.
Enfin, ce roman pourrait sembler daté. Mais rien de tel. Ne
serait-ce qu’à Pâques, un fondamentaliste anti-ahmadi a tué à Glasgow, un ahmadi qui avait souhaité de Joyeuses Pâques aux chrétiens et un attentat à
Lahore a ciblé les chrétiens de cette ville au Pakistan. Personnellement j’ai
découvert la situation des minorités religieuses au Pakistan par la littérature
(puis par des rapports de l’OFPRA par exemple). La littérature permet-elle de
découvrir la réalité ?. Dans ce cas je dois dire que oui. Cela étant ce livre vaut certes par son réalisme mais d’abord et avant tout pour la finesse
de la psychologie de ses personnages et de son intrigue qui font de ce livre un
livre à la fois très situé dans un contexte et très universel.
P ;S : Pour découvrir la vie de l’auteur c’est
ici //www.theguardian.com/culture/2013/jan/26/nadeem-aslam-life-in-writing
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